Page:Giraudoux - Simon le pathétique.djvu/14

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et il l’avait nommé trésorier de l’hôtel de ville. Mon père lui proposa de me donner chaque après-midi, pour un franc, une leçon de quelques heures. J’avais huit ans. La séance dura bientôt jusqu’au soir. Mes devoirs corrigés, il s’établissait dans le fauteuil, s’étalait, éternuait sans priser, le tabac coûtant cher, et me confiait tout ce qu’il n’avait pas eu le cœur de révéler à ses trois fils, apprentis boulangers tous trois, ou à sa fille, pauvre idiote, — un peu de philosophie, pour que je n’arrive pas à dix ans sans savoir ce qu’est l’âme, un peu d’anatomie, pour que je ne connaisse mon petit corps qu’en raison d’un corps parfait. Il me parlait aussi des quatre éléments : du feu, qui sous certains Grecs créait le monde ; de la terre, qui n’existe peut-être pas, qu’on touche là, mais qui sans doute est ailleurs ; de l’eau, sorte d’air liquide ; de la mer, dont il m’expliqua le flux, quand soudain ses abîmes se gonflent d’air, le reflux, quand la lune attire les flots vers le centre de leur masse. Il réservait justement la lune et l’air pour l’été, il préparait déjà sur sa carte du ciel les excursions nocturnes pour lesquelles il s’était acheté, folie, une pèlerine doublée de soie, quand mon père crut remarquer qu’il me donnait l’accent tou-