Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/105

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geais. C’était d’ailleurs peine inutile ; tous restaient là, butant à cinquante mètres de l’île contre une muraille factice. Oiseaux migrateurs au centre des saisons, affolés comme la boussole placée sur le pôle même. Un geste de géant, et tout ce qu’il y avait de vivant dans l’île était balayé, à part moi. Je me sentais souvent à la merci d’une brouille subite avec ces oiseaux, qui ne comprenaient pas, et qui le jour où je les aurais vexés ou effrayés à mon insu, sans me laisser justifier partiraient pour d’autres îles, abandonnant leurs œufs. J’étais douce, avec chaque espèce, et méfiante et souple, comme quand l’on vit avec un dieu inconnu, flattant hypocritement par des éloges l’Oiseau-Laid, félicitant tout haut le Muet de son chant. Mais, sans le leur dire, feignant de chercher quelque bijou, du même regard qui voulait un bateau sur la mer, je cherchais un animal dans l’île ; et il advint que je découvris (c’était tout ce que le Pacifique avait pu faire pour moi, c’était mon seul enfant avec lui) un oiseau qui avait des poils, un bec qui avait des dents, un bel ornithorynque.

Ce n’est pas vrai qu’un navire passa, un matin, à peu de milles ; ce n’est pas vrai que je n’avais