Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/11

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fût exactement peuplée et que rien, du travail même des roitelets et des taupes, n’y fût sous un contrôle humain. Aussi, quand elle vous souhaitait votre fête, vous aviez l’impression d’être à la minute anniversaire, exacte, de votre naissance. Quand elle disait : — Vous avez raison ! — on sentait qu’en effet cette petite illumination et ce petit bien-être qui sont la raison se déliaient en vous. Sur elle, chaque objet, chaque trait reprenait sa valeur et sa mission ; ses sourcils étaient forts et empêchaient bien, quand il pleuvait, l’eau de rouler de son front dans ses yeux ; ils se rejoignaient : le nez aussi était abrité ; ses cils protégeaient bien ses yeux de la poussière, et s’emboîtaient comme un démêloir, au cas où un brin de paille y serait pris ; ses cheveux étaient longs, de façon à la vêtir, et châtain doré, de façon, une fois vêtue, à la rendre invisible ; son index vacillait toujours comme une boussole, et l’on comprenait, en la voyant à l’affût d’un lièvre, accroupie pour bondir, pourquoi les genoux des hommes et des femmes se replient en dedans et non en dehors.

Juliette Lartigue était plus vivante encore, mais avec moins d’à-propos. Ses yeux brillaient quand elle avait faim. L’eau lui venait à la bouche quand on achetait des parfums, et son nez remuait quand on parlait de Dieu. Elle disposait d’une foule de