Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/111

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comme si venait d’avoir lieu, à cette place, la faute qui vous change en arbre : l’attaque par des dieux lascifs ou l’accès d’un trop grand orgueil. C’était l’endroit aussi où le bruit des cascades était devenu égal au bruit de la mer sur les récifs, et la forêt s’ouvrait par mille trous dorés comme un gâteau de miel. J’y pénétrais, inconsciemment, par celui d’où je voyais sortir le plus gros oiseau. Je marchais sur des catleyas quatre ou cinq fois plus larges qu’en Europe, mous et cassants sous mes pieds comme des cèpes. Je me hâtais suivant une liane de glycine, et arrivais par elle à des clairières de jasmins et de passeroses où j’aspirais de tout mon souffle, comme si c’était cela l’air, des parfums violents à tuer. Chacune était un cimetière, là un arbre au pied duquel étaient les cadavres d’énormes pies-grièches ; là, un cercle de gazon sur lequel finissaient leur vie, après mille ans de voyages de l’un à l’autre pôle, les tortues. Il y en avait des dizaines, dont seules subsistaient les carapaces, toutes de même exacte grandeur, toutes mortes au même âge. L’œil, le vrai œil humain encastré dans le mancenillier, avec l’iris percé par moi, contemplait tout cela… Enfin la clairière centrale, avec de petits aigles dormant parés de deux taches aux épaules et qui semblaient des scarabées ; avec des paonnes tristes gardant à