Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/116

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans lesquelles j’étendais mon bras jamais ne se refermaient sur lui, et pas une fleur qui essayât de mordre ou de retenir même mon petit doigt. Ces massifs d’héliotropes, ces bosquets de tournesols qui agitaient lentement et unanimement leurs têtes vers le soleil comme les girls dans les music-halls, ces perroquets qui faisaient un succès à mes moindres mots, ces échos, ces paradisiers familiers comme au paradis même, ces gourahs qui demeuraient paisibles sur leur branche même quand je criais, ou daignaient tout au plus se soulever, par politesse, de la hauteur dont on soulève un chapeau (pour partir affolés dès que leur parvenait quelque écho d’écho imperceptible pour moi), cette nature en somme qui ne gardait point ses distances avec un être humain, paralysée par le bonheur, par l’impuissance à faire venir des continents ses conduites de venin, et dont les réflexes, oiseau qui s’envole, lézard qui fuit, ne fonctionnaient jamais, même en frappant au bon endroit ; parfois elle m’exaspérait. Jamais un rayon coupé par un nuage, ou vous échappant soudain, tous trempant dans l’océan ou dans la terre et tenus par un pêcheur endormi qui jamais ne les relevait ; jamais un poisson fuyant devant vous, car le soleil ni la mer n’avaient non plus leurs réflexes, et il fallait chatouiller les truites pour