Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/145

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des tranches de noix de coco entières, une guenon boiteuse me suivait. Je me retournai vers elle soudain, et alors au lieu de fuir, se roulant sur le dos, de trois pattes, la patte boiteuse écartée de cet honneur, elle me tendit son enfant. Il criait, mais ne résistait pas. Il me faisait des grimaces, mais il m’embrassait. Il me battait, mais regardait déjà par-dessus mon épaule comme d’un rempart, et, au premier geste berceur que je fis, dans un élan pour m’échapper, il s’endormit.

C’était bien dans la vie que je rentrais, car ma journée du lendemain, au lieu d’être faite d’heures interchangeables, se morcela en épisodes, comme en Europe. Il y eut l’épisode du tremblement de terre, celui de la mort de la guenon, celui du trésor.

Déjà le jour renaissait. Les feuilles de bananier combles de rosée chaviraient l’une après l’autre. C’est cette eau que j’aimais boire chaque matin après avoir pressé un pamplemousse au-dessus de la feuille même. Le son métallique que mon île rendait parfois était ici plus marqué encore. Des scies grinçaient, les feuilles de palmier se heurtaient au fracas du zinc ; avec les cris des singes