Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/147

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Le soir, quand tout fut calmé, quand je n’ignorai plus, pour les avoir vus éperdus, aucun des animaux de l’île, quand les singes attirés par la lune d’un arbre se penchèrent vers la mer, glapissant lorsqu’un singe pâle tendait de l’eau la main vers le plus hardi d’entre eux, quand les antilopes s’endormirent d’épuisement, agenouillées, quand les familles d’écureuils chassés des troncs d’arbre erraient encore, couchant enfin chez des oiseaux, quand la mer, toute la journée secouée et battue, fut saisie aux quatre angles et tirée, tendue à craquer ; quand le jet d’eau de la source d’eau chaude baissa peu à peu ; à l’heure en somme où j’aurais dû être expulsée de ce jardin public, alors mourut la guenon.

Alors cette île ennemie, dont les petits à-coups terribles n’avaient pu me désarçonner, accrochée que j’étais à tous ses arçons, aux lianes, aux racines, voulut se venger dès le lendemain en m’humiliant, et en m’offrant, jouée par des animaux grotesques, la revue des deux grands jeux humains, que jamais je n’avais vue jouée par des hommes même, l’amour avec des tatous, la mort avec une guenon. Au milieu d’une clairière ronde pour l’amour, sur un rivage ouvert pour la mort, avec toutes les précautions de clarté et d’évidence de la nature quand elle veut gagner au matéria-