Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/158

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succès, sifflant par un serpent caché dans son pied. Tous gênés, humiliés d’être convaincus d’impuissance vis-à-vis de cette femme blanche, devant cette mer, cette brise qu’ils avaient terrorisées. Ces deux-là avec des regards si nettement pointés vers un coin de l’île que malgré moi, je suivais leur invite, et, au dernier balcon de la terrasse, je pouvais voir enfin ce vers quoi tous étaient tournés : un océan sans île, tout ce qu’il y a de plus infini sur notre petite terre ; il me fallut me tourner pour retrouver, derrière moi, mes deux îles comme deux bouées marquant le point où s’est englouti un sous-marin. Tous immobiles comme s’il n’y avait qu’un seul dieu caché dans leur armée, qu’il s’agissait pour moi de découvrir, et qu’en fait je cherchais, les touchant du doigt, comme Ulysse recherchant Achille dans le régiment des filles… Je le trouvai… !

C’est ainsi que le pendule de ma vie, trop tendu, ne battait plus que des animaux aux dieux. Certes, moi aussi, comme tous, je créais l’univers. Mais cet appareil si parfait jadis, et qui faisait que pour moi il n’y avait pas de train en retard, pas de visites en avance, on pouvait dire qu’il n’était plus au point. Je ne donnais plus que ces mouvements lents de l’âme qui sont les singes, les perroquets, ou ces figures éclairs qui sont les