Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/159

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dieux papous. Bientôt le gouffre encore s’élargirait. Je n’aurais plus à un bout de ma pensée que ranimai le plus proche des plantes, à l’autre que Dieu lui-même. C’étaient mes deux seuls voisins. Le moindre écart me heurtait au tatou ou à la Trinité. Seule à ne pas avoir un milliard d’hommes à ma droite, un milliard d’hommes à ma gauche, avec des femmes entre chacun pour amortir encore, tout ce qui venait de la nature ou du cœur m’atteignait de son premier choc et me bouleversait. Tous ces frissons qui m’étaient arrivés par mes nourrices ou mes poètes, m’arrachant à peine un soupir, ils me jetaient maintenant à terre, ils me roulaient sanglante sur des épines. Cette horreur de savoir Strasbourg allemande qui me faisait tout au plus, autrefois, transmise par mon tuteur, fermer les yeux, elle m’arrachait maintenant sur une berge étincelante des cris stridents. Cette haine des cravates Lavallière qui me faisait alors sourire, elle me faisait jeter contre des blocs de nacre coupante des soles blanchâtres. Chacune de mes pensées les plus simples ne s’arrêtait qu’après avoir atteint son zénith. J’avais beau cligner des yeux, cligner de l’âme, rien qui me redonnât ce monde dont le mouvement était l’allure Gaumont des cinémas médiocres et où j’eusse retrouvé mes amis… Parfois j’avais l’im-