Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/181

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rière toutes ces manies et ces cadres de l’esprit et de l’âme, dont nous répétions les noms au pensionnat comme des perroquets : Scholastique, Marivaudage, Préciosité,… à l’aide de vieux syllogismes, de vagues restes de leçons, j’essayais de les comprendre, et une source d’agréments nouveaux s’ouvrait en mon cœur comme un bar : Être précieuse, c’est désespérer alors qu’on espère toujours, c’est brûler de plus de feux que l’on n’en alluma, c’est tresser autour des mots révérés une toile avec mille fils et dès qu’un souffle, , une pensée l’effleure, c’est le cœur qui s’élance du plus noir de sa cachette, la tue, suce son doux sang. C’est mademoiselle de Montpensier suçant le doux sang du mot amour, du mot amant. C’est mademoiselle de Rambouillet couvrant de sa blanche main tous les mots cruels, et nous les rendant ensuite, le mot Courroux, le mot Barbare, inoffensifs comme les détectives qui changent le revolver du bandit en un revolver porte-cigares. Le marivaudage ? marivauder ? c’est, sur un promontoire, allongée et nue, regarder le soleil, soupirer, et se dire : tu ne soupires pas ! tu ne regardes pas le soleil ! tu as trop chaud, découvre-toi !… Marivauder avec l’Europe, c’est lui tourner le dos, c’est s’occuper uniquement de suivre sur le baobab les sauts de l’oiseau vert à ventre rouge