Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/190

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tenant comme une clef de montre, et remontaient tout le poids de mon cœur… Les jacunas poussaient mille cris inhumains, comme un homme. Le kouroshivo soulevait légèrement l’horizon, comme une veine gonflée, comme une femme… Que de pitié je ressentais aussi pour eux, que d’ennuis ils se créent à tort avec les contrôleurs de tramways, les emprunts russes et les nègres ! Je leur souhaitais le bonheur, l’éternité. Je leur souhaitais l’alcool qui dégrise, la suie qui blanchit… Si bien, quand le soleil sortit de son toril, harcelé par deux gros nuages, ahuri, que c’est eux là-bas, par milliards, qui me semblaient soudain isolés et perdus… Et tout le jour ma solitude fut quelque chose de poignant, d’angoissé et de doux, — à croire que ce n’était pas de la solitude, mais de l’amour.

Qu’as-tu vu dans ton exil ?
Disait à Spencer sa femme,
À Rome, à Vienne, à Pergame,
À Calcutta ? Rien !… fît-il…
Veux-tu découvrir le monde
Ferme tes yeux, Rosemonde