Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/202

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supérieure avancée, c’est qu’il était gai, c’est qu’il aimait les calembours ; la ceinture plissée et ridée par une vraie ceinture, un gymnaste. Il avait des cheveux roux et ras, la barbe fraîche ; ou avait prévu la bataille, fait raser et tondre l’équipage. Le nez était cassé ; plus tard j’ai songé qu’il devait être boxeur. Sur une de ses hanches, des cicatrices comme des encoches, de son genou à son épaule, comme si un enfant s’était mesuré chaque année à lui. Les lèvres juste closes de celui qui vient de parler, mais le visage dur de qui n’attend plus de réponse : une plaisanterie sans doute sur la torpille qui venait. Je ne sais quoi aussi d’épars jusque sur la poitrine, les mains, qui indiquait la ruse, le mensonge. Mais je ne pensai guère à me demander s’il était imprudent de me donner un maître rusé et menteur, un maître qui crachait, et déjà j’étais courbée sur lui. Je ne pouvais tirer sa langue, car il était impossible d’ouvrir ses mâchoires, ni le suspendre par les pieds, car il était lourd, ni fermer et rouvrir ses bras, déjà trop raides. Une heure je tournai autour de lui, assiégeant ce corps pour lui donner la vie, avec la minutie de celui qui veut tuer une tortue ou une bête à carapace, cherchant un défaut à son armure, essayant de le brûler avec ma loupe, comme jadis un ennemi dans un vrai siège. En