Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/216

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comme on délaisse un lacet qui s’est noué pour défaire d’abord l’autre soulier, je le délaissais pour un plus souple…

Je ne me réveillai que le lendemain, quand le soleil déjà déclinait. Ce fut la seule journée dont je n’ai vu que la moitié dans l’île et que je puisse soustraire à l’addition des autres. J’étais hébétée de sommeil. Je me laissais parler tout haut, à mon habitude, sachant que ma parole la plus machinale me renseignait sur moi-même.

— Suzanne, — dit-elle, — tu es seule…

Et en effet, on avait remonté ma solitude comme une horloge. Je me levai. Il ne restait plus de ceux qui avaient troublé l’île que quelques traînées légères comme d’avions qui atterrissent. J’errais sur la grève, je me mis encore au service de cette guerre qui comptait sur moi pour toucher l’extrême pointe de ses rayons et la libérer de cet homme mort dont chacun se coiffait. Pas une vague ce jour-là qui n’ait pris sous mon regard la forme d’un corps… Mais pourquoi après tout être plus triste qu’avant-hier ? J’avais des gourdes pleines de rhum, j’avais des stylos, de l’encre ; je pouvais m’enivrer, je pouvais écrire une lettre ;