Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/237

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fié par sa seule présence. Qu’il devait être doux en effet de montrer à Vendredi la belle haie de pierres, de lui apprendre à écosser les haricots dans la jarre numéro quatre ; de lui révéler comment le parapluie se ferme, s’ouvre ; comment l’on fait tourner le rôti par un système de six broches et de deux ficelles. Et Dieu, comment il se tourne et se détourne ? Et la Trinité, comment elle est triple et unique ? Apprendre l’immortalité à Vendredi, les yeux dans ses yeux, en la lui soufflant dans sa bouche même comme la vie à un noyé ; jouir de son premier triomphe sur les animaux et les arbres mortels, le voir flatter de la main avec pitié le baobab, qui dans mille ans mourra. Et mes paravents de trente mètres, et mes bêtes apprivoisées, quel supplice, Simon, de ne pas être assurée qu’un jour je les montrerai à quelqu’un ! À quelqu’un qui se hâte un peu. Car je sens, à trop de plumes qui tombent, à trop de poil qui pousse, qu’arrive l’année où mes perroquets auront cent ans, mes gazelles douze ans et commenceront à mourir.

« Voilà, Simon, car je tiens à finir ma lettre par un concetto, on nous l’ordonnait à la pension, comment mon jour le plus triste dans l’île fut celui où j’y fus rejointe par Robinson.

« Adieu. Écrivez-moi ce qui se passe en Europe. »