Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/239

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Je lui répondis :

« Cher Simon,

« Voilà que toutes les huîtres et toutes les moules autour de mon île se referment avec le bruit de baïonnettes qu’on remet au fourreau. Voilà l’heure où l’on me disait jadis que le soleil s’enfonçait dans la mer, que le soleil prenait son bain ; moi je ne disais rien, je l’ai toujours jugé tellement au delà !

« Je sors d’un grand danger. Hier matin, j’ai manqué ne plus être dans mon île comme dans une nacelle de ballon, balancée entre deux mondes avec des oiseaux et des plantes qui se sont donnés à moi sans noms et sans conditions. Sur le carnet du naufragé d’en face, j’ai trouvé le plan de mon archipel, sa latitude, le nombre exact de milles qui le séparent de l’île Palmyre (770), de l’île Rimsky Korsakof (321) et de la Rakahanga (1.000 juste). Ce fut à peu près comme si ma vie errante sur mon radeau était finie. Je me sentis tenue aux quatre coins de l’horizon par des câbles. Je pouvais savoir sur ces cartes la profondeur à un mètre près de chaque trou de ma mer. Tous ces arbres que j’avais baptisés étaient rangés et