Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/244

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cher Simon,

Hélas ! oui, il m’arrive de dire tout haut, quand un nuage blanc s’élève soudain : — Le train part ! et de crier parfois, quand j’ai faim : — À table !

C’est pour m’éviter ces visites douloureuses de mots français que j’ai pris l’habitude de me faire des mots et que j’ai maintenant une langue à moi seule. Aux arbres et aux oiseaux j’ai retiré même ces surnoms européens déformés dont je les avais affublés au hasard, comme de gibus et de corsets un roi peul. Plus de prunicotiers, d’adonisiers, de kerikerisiers. J’ai bien deux cents mots qui jamais ne me portent hors de l’île où ils sont nés, même ceux qui signifient Nostalgie ou Attente. Langage fluide, car toujours paresseuse, je me suis épargné jusqu’à la peine d’y loger des x et des nasales. Pas de ces h aspirés non plus que j’ai toujours détestés et qui collent le mot sur votre visage comme un masque pour opération. Langage sans suffixes, ni préfixes, ni racines, où les êtres qui se ressemblent le plus ont les noms les plus différents. Noms sifflants toujours suivis d’une belle épithète qui les nourrit comme un tender. Noms roulants dont je forge