Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/26

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penchée de tendresse et pour ne pas brouiller mes cheveux déliés. Je laissais les rideaux ouverts. Je m’endormais, avec de petites enclaves de froid sur mon visage ou sur mes bras, aux endroits que frappait la lune ; et soudain juste aux mêmes places j’avais chaud, j’ouvrais les yeux, j’avais dormi huit heures, c’était le soleil !

Alors, — et mon histoire a l’air de ne jamais finir et en fait elle ne finissait point, — alors, éloignées pendant les jours de cette vie étrange à laquelle nous étions secrètement engagées, affectant du dédain pour elle, et pour Verlaine, et pour Loti ; remplaçant pour la journée dans notre langue de la nuit le mot soie par le mot coton, le mot émeraude par le mot améthyste, nous flirtions avec la vie médiocre de la ville comme avec un jeune cousin. Les petites villes ne sont point des miroirs déformants. Les vertus, les mouvements de l’univers ne se reflétaient dans Bellac qu’ordonnés, et si visibles qu’ils étaient inoffensifs. Janvier y était toujours froid, Août toujours torride, chaque voisin n’avait à la fois qu’une qualité ou qu’un vice ; et nous apprenions à connaître le monde, comme il le faut, en l’épelant, par saisons et par sentiments séparés. Chacune de ces maisons bien crépites était dans la rue une note, avarice, vanité, gourmandise : pas de dièse,