Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/265

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celui qui avait déjà l’habitude de mon corps et m’avait portée, celui (je voyais sur sa chemise de soie bleue une traînée nacrée comme celle que laisse la lune) qui savait mon poids, mon parfum, s’approcha, souleva ma tête, et enfin je pus parler, et reprendre après tant d’années ma conversation avec les hommes, et dire mon premier mot français qui fit reculer Jack stupéfait et s’approcher les deux autres :

— Un mouchoir ! — dis-je.

Maintenant, c’était le soir de cette journée et nous nous taisions tous quatre. Mes oiseaux étonnés de me voir rester dans la seconde île, regagnaient par vols la première, volant presque à reculons. Chaque rayon aussi nous quittait pour se déposer une minute sur mon vrai royaume et s’éteindre. J’étais vêtue maintenant d’un pyjama de soie noire ; j’avais une gourmette d’or à la cheville, je reprenais la vie d’Europe par ses modes les plus snob. J’avais repris les goûts d’Europe par leur degré le plus aigu, le rhum, le champagne, les pickles. J’étais un peu ivre, la terre pour moi recommençait de tourner.

Maintenant je savais tout de la guerre. J’hési-