Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/281

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j’allais avoir en Europe… Hawkins qui avait la meilleure vue de tous et qui s’était tourné vers l’arrière resta une demi-heure ainsi avec une jumelle, puis me prit par la main et me dit tout à coup :

— C’est fini : on ne la voit plus…

C’est ainsi que mon île devint invisible…


Que vous dire maintenant ?

Comment, le soir même, j’aperçus une autre terre, puis une autre avec des collines, puis une autre avec des montagnes, et j’avais l’impression que la mer, que le déluge, descendaient ? Comment Billy (rien en moi sans doute n’étant solaire ou lunaire) devint à son tour amoureux et ne me lâcha plus ? Comment mon sauvetage me plaçait au point le plus éloigné de son pays où puisse parvenir une Française ? De plus loin de la France, disait Jack, il n’y avait que Lelestra, l’étoile la plus proche. Comment, par peur d’un raz signalé par notre antenne, nous fîmes relâche deux jours dans une autre île inhabitée ?… Au fond, le sort m’avait gâtée, mon île était meilleure ; ici les fruits étaient plus aigres, les noix de coco plus difficiles à briser… Comment je repris l’habitude de dormir dans un lit, d’abord devant le lit sur le parquet, puis sur le tapis, puis sur des coussins,