Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/286

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commandant français, qui avait une main de fer, un lieutenant qui avait un gantelet mécanique, et la première chair française que je pus serrer était un métal affreux. Le capitaine avait un clapet d’argent sur le crâne ; je retrouvais mes compatriotes comme après l’explosion d’une chaudière. Un quatrième, comme je lui demandais d’un peu loin combien leur mission comprenait d’officiers, leva la main en l’écartant pour m’indiquer qu’ils étaient cinq, oubliant qu’il n’avait plus que quatre doigts. Mais la guerre avait juste épargné en chacun d’eux le trait par lequel il pouvait me plaire, et j’étais heureuse de penser que j’aimais dans les hommes la part la moins périssable. J’étais la seule personne au monde qui n’eût pas entendu encore de récits de guerre ; vous pensez s’ils en profitèrent. Le commandant, un peu familier, me touchait parfois de son crochet de fer, doucement, comme pour irriter sans le détruire un beau feu. Plus heureux que s’ils révélaient à la Belle au Bois Dormant après son réveil l’invention de la poudre, de l’imprimerie, des truffes et du champagne, ils m’expliquèrent les tranchées, les fils de ter crénelés, les sacs barbelés, se souriant au mot « cavalerie ». C’est à ce moment, tout à fait par hasard, que mes yeux se portèrent sur Edwin Marion, mon vis-à-vis… Mon regard passa