Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/295

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à mon île, Billy m’a accompagnée. À travers des pins, des ombres, j’ai entendu le bruit du même moteur qui m’a éveillée dans les palmiers et les coraux. Billy a voulu me munir d’un litre de gin, d’un cake, d’un châle de Manille. J’ai refusé tout cet attirail étranger. Aussi j’ai soif, j’ai froid, et j’ai faim.

Maintenant j’attends, comme le matin de mon naufrage, debout tout à l’heure, puis assise, sur cette France qui va m’enliser avant le jour. Je n’en reconnais rien encore. Billy m’a dit que La Rochelle devait être tout proche, mais j’épie en vain un de ces bruits ou de ces signes qu’une préfecture devrait donner vers minuit. L’Océan seul a de grands et petits fracas si particuliers que je les reconnais saintongeois. Le ciel seul a une forme connue dont je me coiffe comme de la seule toque qui enfin, après six ans, me va. Cette assurance d’équilibre seule qu’on a en caressant de la main la terre, le grain de sa patrie, me pénètre. Le silence seul a cette sonorité de mon enfance qui me donne soudain pour oreilles toute la nature et la nuit. Mais ces gestes que j’avais déjà prévus (et même répétés dans ma cabine) pour les arbres et les oiseaux de France, ces arbres auxquels je n’aurai plus à monter, cette retenue aussi vis-à vis des feuillages caducs,