Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/70

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fallait la toucher d’abord et agiter son parfum avant de cueillir le fruit, une grappe de glycine. Heurté par une sentinelle maladroite, un boulet de l’arsenal descendait tout seul la rue à pic, ralenti aux passages à escaliers, poursuivi par le trompette. Puis la sirène de l’Amélie siffla, le dernier reflet de l’Europe me sourit ; sur le visage d’une fillette accoudée au quai, je caressai le dernier reflet d’Europe, et Naki de ses bras puissants m’arracha à ma terre.

Pendant deux jours l’Afrique avança encore quelques îles sur la mer comme un enjeu, des Canaries, des Îles Vertes ; nous les dédaignions. Dès lors ce fut l’Océan du Sud et chaque jour un jour de moins de vingt-trois heures où mon cœur pourtant était au large. Le soleil commençait par nos pieds étendus, poussait peu à peu l’ombre vers le haut de notre corps comme une teinture, et nous laissait le soir cuits et dorés. Certains petits points, utiles pour l’agrément de la traversée, sans valeur après le voyage, étaient maintenant bien fixés : le Norvégien voulait ne vivre que pour moi, j’habiterais avec Nenetza toujours, le général ferait élever à Sidney pour Juliette Lartigue un couple de kangourous. Tranquilles désormais, nous allions chaque matin à la messe, que disait dans la bibliothèque le directeur du Grand Sémi-