Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/72

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dinaves. La chouette, qui tous les soirs sortait de la cale saluée par le mot « chouette » en toutes les langues du monde, et voltigeait autour du navire, se posait enfin : le cœur de Mademoiselle se calmait. Par signaux lumineux, le commandant jouait au poker avec le commandant du navire-prison. Le blanc des yeux de Naki buvait les étoiles comme un papier buvard. Les étoiles s’élargissaient, le ciel était percé comme un confessionnal, avec la bougie du côté du Père, et nous nous confessions, nous plaignant doucement et tous. Je me plaignais de Naki qui pinçait l’épaule de sa femme malgré les promesses qu’il m’avait faites. Chotard se plaignait des métis d’Iquique, où il devait, les jours de révolution, faire escorter sa bonne au marché par un Indien pur qui tirait sur les fenêtres ; Naki se plaignait des Turcs, qui avaient tué sa famille tous les vingt ans depuis l’âge reconnu moderne par les manuels d’histoire français ; le général, des Balorabari, tribu d’Afghans, qui lui avaient volé un dogue ; Mademoiselle disait son mot sur les punaises. Chacun geignait comme une petite bête au sujet de la bête son ennemie. Le commandant venait de nous dire que nous étions au point où le Gulf Stream faisait son coude, et le général curieux se penchait pour tâcher de voir à cause de quelle petite butte. Puis