Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/77

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tombait continuellement un objet mal attaché, une pièce de monnaie, une boucle. De moi surtout : les réparateurs de la rue Pape-Carpentier avaient été consciencieux. J’essayais par de petits mots insidieux de savoir si ma compagne comprenait que nous étions sur les récifs.

— Ils vont fusiller le commandant, — répondit-elle.

Ce fut la course dans les couloirs vides, jonchés de vitres et d’assiettes cassées. Sans les conseils du matelot, nos pieds eussent été en sang. Près de l’office, il fallut piétiner des raisins, des mangues pourries, enjamber des blocs de glace. Les saisons aussi, traîtres aux hommes, disaient leur petit mot dans ce désastre. Enfin le ciel apparut, tout le ciel, si pur, si chargé d’étoiles que Mademoiselle s’écria, ce fut presque son dernier mot dans cette tempête :

— Ah ! qu’il fait beau !

Puis elle poussa un cri, nous avions oublié les ceintures ; elle m’ordonna de rester là, devant ce canot numéro dix, où pour l’exercice de sauvetage aussi, tous les dimanches matin, nous arrivions les premières. On avait allumé les phares de trois autos placées sur le pont ; sous ces étoiles cela donnait l’illusion d’une panne, loin d’une ville, à la campagne. Assise sur des paquets de corde, la