Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/81

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Naki nageant au pied de mon radeau. Je le regardais des minutes entières, mon seul secours, ma seule demeure, qui s’entêtait à me sauver, avec son accent grec. L’après-midi je dus tourner la tête, à cause du soleil, et Naki, pour nourrir mon regard, fit le tour du radeau. On entendait de grands coups au fond de la mer. Nous avions je ne sais quel espoir comme des mineurs qu’on va délivrer. Je lui fis signe de monter sur le radeau : il y posa un genou, — toujours je le verrai ainsi, — et il se rejeta en arrière avec le geste des petits Grecs, qu’on chasse du marchepied de la victoria.

La nuit tomba, je m’endormis. Le jour revint, je m’éveillai. Le radeau s’augmentait de toutes les épaves qui passaient à portée de Naki, toute une collection qui prouvait quelle confiance il avait jusqu’au bout en mon sort, des bouteilles pour que je puisse boire une fois à terre, une ombrelle, pour me faire dans cette Océanie une ombre à moi, une espèce de fourrure pour que je n’aie pas froid quand viendrait l’hiver. Je délirais, d’un délire qui me poussait à l’amour, à la gratitude, comme une opérée au réveil. Je cherchais dans mon esprit tout ce que je savais pouvoir flatter Naki, et je le lui criais : son épingle de cravate, si affreuse et dont il était fier, cette perle rocaille