Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/91

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de plumes de paradis achevé, une fois tout vérifié, le soleil vérifié avec mes deux loupes d’où je tirais le feu le plus facile, vérifié le ruisseau plein de ces poissons qui n’avaient que deux cents mètres pour leurs ébats entre l’eau salée et le roc de la source, vérifiés trois échos dont le dernier répétait douze fois vos paroles, écho pour femme seule, vérifiées les huîtres, les moules, excellentes mais dont la nacre était molle de nouveauté, vérifiée l’herbe qui remplacerait pour moi le cerfeuil, celle qui serait mon échalote, me sentant pour jamais sans occupation sur cette île parfaite, j’attendis…

Tant pis si je vous décris trop tôt les tortures de l’attente. Je passais mes journées au bord même de la mer, les pieds touchant l’Océan par je ne sais quelle superstition qui me condamnait à ne pas perdre son contact ; j’attendais pour le soir même, pour le lendemain au plus tard. Parfois, désespérée, je me reculais d’un mètre, d’un pas, c’est que je n’attendais plus le secours que pour dans six mois, dans un an. Par des additions, par des chiffres que je vérifiais tout le jour, gagnant quelquefois une semaine sur le total précédent, je trouvais le compte précis des mois, des années qu’il me faudrait subir dans l’île, à moins d’un hasard, avant qu’un navire fût