Page:Gistucci - Le Pessimisme de Maupassant, 1909.djvu/35

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Ce cœur de sceptique s’est-il ouvert tout entier ? Maupassant a-t-il aimé ? A-t-il, du moins, connu l’amour autrement que passager et toujours suivi de lassitude, de dégoût et de rupture ?

La question est embarrassante, ou, pour mieux dire, elle est insoluble. Personne, croyons-nous, n’est entré assez profondément dans le mystère de sa vie pour en décider… Une de ses nouvelles posthumes, pourtant, (L’Amour, dans le recueil Le Colporteur), contient ces mots, qui peuvent paraître significatifs : « Je n’ai jamais aimé… Pour aimer, il faut être aveugle, je ne le puis ». Et la pensée — ou l’aveu — se complète par ce qui suit : « J’ai de l’harmonie une idée tellement haute et subtile que rien ne réalisera jamais mon idéal ».



Cette harmonie, cette idéale perfection qu’il ne pouvait réaliser dans la vie du cœur, Maupassant la poursuivit dans la vie de l’esprit. — Et il souffrit de la poursuivre en vain.

De là cette autre forme de son pessimisme, qu’il nous reste à analyser, ce nihilisme intellectuel, auquel toute sa pensée paraît aboutir.

Il nie la Science. « Nous ne savons rien, nous ne voyons rien, nous ne devinons rien, nous n’imaginons rien… » Il nie même l’art. Le peintre, selon lui, fait des paysages faux, l’écrivain, des portraits qui ne sont jamais ressemblants. L’impossibilité d’atteindre à la forme littéraire parfaite, adéquate à son objet, le désole. Lui, le peintre pourtant si heureux, si hardi de la nature, reste découragé devant une aurore africaine vue aux abords de Kairouan. Il déplore que nous n’ayons à notre disposition qu’un vocabulaire incolore, aussi pauvre que celui dont se servaient nos pères, pour rendre les impressions de leurs sens naïfs.