Page:Glatigny - Œuvres, Lemerre.djvu/140

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Sa gorge, qui tressaille, agite par saccades
La chemisette lâche et blanche, dont les plis,
Laissant l’épaule nue, arrivent en cascades
Baigner languissamment ses beaux reins assouplis.

Regardez-la marcher : c’est la Brute impassible,
La machine d’amour inerte en sa lourdeur,
Le mannequin de chair à la chair insensible,
Qui ne sait pas rougir et n’a pas d’impudeur !

C’est l’instrument passif. Non ! cette créature
N’a jamais été femme, ah ! jamais un instant !
Elle ne connaît rien, ni bonheur, ni torture ;
Son oreille ne sait jamais ce qu’elle entend.

Après avoir quitté la maison de son père,
Quand elle abandonna l’homme qui la battait,
Et qu’elle mit le pied dans l’immonde repaire,
Elle sentit vraiment alors qu’elle existait.

Il semble qu’à la voir on soit pris d’épouvante
Et que l’on doive fuir au plus vite ; mais non !
Mais non, il faut rester ! charmeresse savante,
Elle se rive à nous par un secret chaînon.

D’où te vient, dis-le-moi, cet effroyable empire,
Froide magicienne, ô louve ! Près de toi,
L’âcre poison se mêle à l’air que je respire,
Et l’excès du bonheur me conduit à l’effroi.