Page:Glatigny - Œuvres, Lemerre.djvu/237

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Crédule, au vert avril de ma fraîche jeunesse,
Je suis parti chantant. Je disais aux sillons :
« Ouvrez-vous et soyez peuplés ! Que tout renaisse ! »
La pourpre fascinait mes yeux sous mes haillons.

Sans croire à la douleur que l’avenir nous garde,
J’avançais, libre, heureux, confiant ; mais voici
Que j’ai pris la pâleur de la lune blafarde,
Que le souffle cruel de l’hiver m’a transi.

Et je marche à présent au hasard, loin des villes,
Triste objet de mépris pour le dernier passant.
J’ai mendié l’amour des femmes les plus viles,
De celles qu’on ne peut nommer qu’en frémissant !

Je leur parlais ainsi qu’à la vierge attendue,
Je leur disais des mots doux comme les baisers
De l’étoile du soir à la rose éperdue,
Auréolant d’amour tous ces fronts écrasés.

Je mettais sous leurs pieds, ainsi qu’un chien docile,
Ma fierté, mon courage, et tout entier mon cœur ;
Mais elles, repoussant mon amour imbécile,
Fuyaient en me jetant un long rire moqueur !

Et voilà maintenant que la Muse elle-même,
Mon vivace et dernier espoir, pour qui je fus
Errant et misérable, ô défaite suprême !
Récompense les maux soufferts par ses refus.