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Premier Péché

roses… la joie enfin, au lieu de la tristesse qui planait, lugubre, dans cette solitude.

Égoïste !

Ainsi, il avait renoncé au bonheur pour adoucir le sort des siens, et on le taxait d’égoïsme parce qu’il vivait seul, et que peut-être bien inconsciemment, il avait pris certaines façons un peu étranges : se mettre à son aise, fumer sa pipe au fumoir quand on caquetait au salon ; ne pas débiter de fadaises galantes, et ne pas se donner de tintouin pour la première insignifiante…

À le voir filer son petit bonhomme de chemin, on l’appela :

Égoïste !  !

C’était trop bête, à la fin, et ce soir, en relisant le chiffon frais et rose de la cousinette, il eut comme une évocation de printemps…

Ce serait bien gentil !

Mais riant amèrement : « Non, je suis trop vieux… ne me le dit-elle pas ? » Son cœur est pourtant resté jeune : c’est qu’il n’a pas vécu, mais ses tempes grisonnent ; demain elles seront blanches ; le physique a marché tout seul, et si vite !

Il faudrait unir sa jeunesse de cœur à une femme vieille et désillusionnée… Un mariage de raison, voilà tout ce qui lui reste, quand il a des trésors à l’âme. Allons donc, mieux vaut les laisser enfouis à jamais ; au moins, il veut leur épargner la profanation !

Épouser une enfant… il le pourrait, s’il n’était un être raisonnable, croyant un crime d’enchaîner une jeunesse à sa vie déjà vieille.

Égoïste, il doit le rester !

Et silencieusement, sans révolte, il se résigne.

Mais à cette fête-là, il ne veut pas aller ; c’est trop à la fin, et vraiment il ne peut voir le bonheur de Louise… et le sourire mutin de la jolie Yvonne.

Lui dira-t-il, à cette enfant, toute sa tristesse de vie manquée ? À quoi bon ? n’est-ce pas fini tout cela ? Puisqu’il est incompris toujours, qu’importe, une fois de plus ?

Allons, à ton rôle d’égoïste, grand cœur ! Mets un masque impassible, affermis ta main et écris :

« Cousine Yvonne, vous êtes bien gentille de m’inviter ainsi, mais que voulez-vous que fasse dans une noce un vieux barbon de mon espèce ? Laissez-moi dans mon antre, mais faites-y luire de temps à autre l’éclat de votre pur sourire. Je vous remercie, et je souhaite tous les bonheurs à Louise et à Jean — et aussi à vous !

Vous voulez une confidence ? Pour vous moquer de moi, peut-être, joli lutin… mais allons-y quand même : vos beaux yeux sont si gentiment railleurs.