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Premier péché

Parfois leur chant était triste, coupé de gémissements timides ; alors elle cherchait le secret de leur mélancolie, et ne trouvait rien. Seulement, ce jour-là, elle les aimait davantage et mettait dans leur plumage fauve de plus longues caresses.

Ils s’aimèrent ainsi toute une saison.

Un matin, l’automne venait, la brise se faisait plus froide, et la petite, en se rendant au nid, avait envie de pleurer, — pressentiment de la tristesse qui l’attendait en bas, au poirier. Elle marchait sur des feuilles tombées durant la nuit, et ces piétinées semblaient lui murmurer une douleur… Tout en haut le nid était vide, et souillé de sang, et de petites plumes ; elle eut un sourd sanglot et s’affaissa au pied de l’arbre.

Mes oiseaux ! mes oiseaux, murmurait-elle en se roulant sur un lit de feuilles mortes. Soudain, entre les doigts mouillés de larmes, une tête sanglante se posa, effleurant la joue toute tiède : C’était maman Fauvette !

Elle était agonisante, la chère, toute meurtrie de la lutte mortelle.

— Où sont les petits ? questionna l’enfant, qui, elle aussi, avait ses droits sur la chère famille.

— Morts, répondit la fauvette, morts, on me les a tués !

— Tués, reprit l’enfant, et pourquoi ? Ils étaient si jolis, et leur chant si doux…

— Ah ! c’est que tu ne sais pas, toi, petite, qu’il y a des êtres méchants, mais tu l’apprendras plus tard. Il y a des êtres à qui le sourire déplaît, et qui ne peuvent souffrir la joie — il y a des oiseaux traîtres, comme il y a des hommes fourbes. Jadis, au Canada, nos mères grands le racontent, les oiseaux vivaient bien heureux ; tous s’aimaient et se protégeaient ; c’était l’âge d’or. Mais voilà qu’un homme qui devait être l’ennemi de la gent ailée fit venir de bien loin toute une troupe de barbares et la lança contre nous. Cela s’appelait des moineaux ; le nom est doux, mais l’oiseau est cruel et méchant. Depuis cette heure néfaste, il y a guerre chez nous, et si les nids ne sont pas barricadés, le vilain y pénètre, prend tout et tue. Il ne m’a même pas laissé les cadavres de mes petits… N’est-ce pas horrible cela ? fit la pauvrette, dont la voix se faisait plus saccadée, plus mourante… Le moineau est un diplomate, sa robuste constitution lui permet d’affronter vos neiges, alors que nous, oiselets tout frêles, émigrons vers des cieux plus chauds ; pendant notre absence, M. le Moineau et Madame la Moinelle font des complots contre nos frêles nids ; notre grâce et nos chants excitent leur jalousie. Pour mieux ressembler au loyal Baptiste, le moineau s’est embougriné d’étoffe du pays ; c’est encore une ruse, et preuve qu’il n’aime pas « Baptiste, » c’est qu’il s’acharne à sa