Page:Gleason - Premier péché, 1902.djvu/151

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
51
L’Adieu du Poète

Crémazie

La petite fleuriste est un grand cœur ! Je les trouvai magnifiques, ces roses ; j’aimais leur attitude penchée : elles semblaient lasses de vivre, et pourtant donnaient encore de la joie, même dans leur mort. Je songeais à la jolie fée qui les avait réunies par une délicatesse touchante, voulant égayer ma solitude, et si j’ai versé des larmes heureuses, Jeanne, les corolles de vos roses en sont restées longtemps pleurantes…

Jeanne (timide)

Je vous voyais passer devant ma fenêtre ; tout de suite votre air triste m’avait attirée ; puis je vous attendais ; tous les matins, vous veniez, et je me sentais une tristesse invincible de vous voir ainsi, toujours seul. Chaque jour, vous vous courbiez davantage, comme si le fardeau de vos ennuis se faisait de plus en plus lourd. Je songeais : « Quel est donc son chagrin ? Personne ne le connaît, on le coudoie sans le saluer, il est seul toujours ! Pourtant ne sent-il pas ma pensée, cherchant à. deviner le secret d’une vie qui m’est devenue chère ? Oui, sans doute, il la sent, et voilà pourquoi, chaque matin, il passe ici, pour chercher le regard qui le salue au passage.

Crémazie

Regard discret, qui me révéla tout de suite votre adorable bonté. Il disait, au mendiant de tendresse qui s’arrêtait près de votre porte, que vous aviez une aumône toute prête. Moi qui pleurais ma patrie, je tendis l’escarcelle… vous y avez vidé les trésors de votre cœur de femme. Je bénis l’indisposition qui me valut votre chère présence ; ce jour-là, Jeanne, je ne saurais jamais dire l’allégresse qui me chanta dans l’âme !

Jeanne

Je vous savais malade. Vous voir devint un désir irrésistible… et puis, je voulais vous entendre dire votre plainte, car vous aviez trop de tristesse, j’en revendiquais ma part.

Crémazie (se recueillant)

Un matin, vous êtes venue, et comme je fus heureux de causer avec vous ! Vos grands yeux sympathiques dégageaient de la lumière ; ma solitude en resta éblouie. C’était le premier rayon qui