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L’Adieu du Poète

Jeanne

« Ta dernière lettre nous a rendus bien tristes. Te savoir malade, loin de nous, est si pénible. Je pense sans cesse à toi, mon Octave, et comme je voudrais être là-bas pour te soigner, te gâter un peu, pauvre enfant que la vie a tant maltraité ! Hélas ! le sort nous sépare, et je prie Dieu de placer à tes côtés une douce figure de femme pour adoucir l’amertume de tes tristesses. La prière d’une mère est toujours exaucée, mon Octave, et cette pensée me console un peu de ton absence ? Je voudrais t’écrire longuement, mais je suis trop faible. Tes frères te parleront de tout ce qui t’intéresse ici.

Je suis vieille et malade, les épreuves m’ont brisée et je crains toujours, lorsque je t’écris, que ce ne soit mon dernier adieu.

Je te prends dans mes bras, et comme si je devais mourir je te donne, dans un baiser, ma bénédiction. Octave ta mère te bénit et t’aime. »

Crémazie (la voix tremblante d’émotion)

Ma mère, la bénédiction de ma mère ! Merci, mon Dieu, merci. Jeanne mettez cette lettre sur mon cœur. Elle recevra mon dernier battement.

Jeanne (De plus en plus effrayée)

Voulez-vous voir le médecin et le prêtre ?

Crémazie (D’une voix à peine perceptible)

Jeanne, le médecin n’a plus rien à faire chez moi ; le prêtre me quittait lorsque vous êtes venue. Il m’a prodigué les suprêmes consolations. Je pars content, en paix avec ma conscience… La résignation m’est douce, car je vais vers le bonheur ; j’entre dans la véritable vie ! Pour un chrétien, mourir c’est revivre !… Laissez-moi voir l’immensité… Donnez-moi votre main, et lorsque je mourrai, mettez sur ma bouche ce crucifix donné par ma mère. Chère petite croix qui ne m’a jamais quitté, et qui toujours m’a consolé ! (Il s’incline la tête vers la fenêtre). Je fus un rêveur, un imprudent, un exilé, mais ma race me pardonnera pour l’avoir aimée de toute mon âme !… Elle me comprendra… Je le sens… Et cette espérance de mon agonie ne saurait être fausse.

Jeanne (anxieuse)

Vous souffrez ?