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Premier Péché
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nos sanglots répondent d’autres sanglots, ce seront les petites feuilles pleurantes de la rosée du matin.

On ne retrouve pas au Cap-à-l’Aigle la gaieté et l’animation qui règnent à la Pointe, et aussi dans le charmant village ; c’est la tranquillité absolue et calmante, celle qui vit au milieu d’une nature étrangement solitaire, et qui semble dire : « Ne faites pas de bruit ; ne troublez pas mon sommeil. » L’écho répercute solennellement les éclats de rire, aussi y rit-on tout bas, par crainte de cette clameur grondante qui s’élève au-dessus des grands bois.

Une route boisée vous conduit au cœur d’une forêt, vous la suivez en voiture, pour sentir les feuilles légères vous caresser au passage, de leurs joues humides. Les oiseaux y chantent leurs folies joyeuses, et leurs trilles harmonieux mettent de l’allégresse dans cette nature discrètement voilée de gazes vertes. Ce chemin s’appelle le chemin de fer. Ne me demandez pas pourquoi. La fantaisie malbaienne ne se traduit pas, elle se devine difficilement.

***

Maintenant, je m’en vais, ai-je bien tout vu ? ai-je bien tout regardé ? et ai-je déposé dans les trésors de mon cœur, toutes ces miettes de moi, que j’ai redemandées aux buissons des sentiers, eux qui m’ont parfois lacéré les chairs jusqu’au sang. Mais m’ont-ils aussi donné des roses !

Un seul, un dernier pèlerinage, vers une chère maison triste et désolée, se remémorant dans sa sombre solitude, les moments joyeux autrefois vécus, heures heureuses à jamais mortes, emportant avec elles une part de notre bonheur, ensevelissant sous leurs décombres les êtres aimés, disparus, trop jeunes, quand l’avenir leur devait encore tant de joies radieuses.

À la grille, je m’arrête… Non, je n’aurai jamais le courage de revoir le passé… Pourtant une force irrésistible me pousse en avant, et dans la serrure je mets la clef… elle tourne avec un bruit triste, grincement qui me serre le cœur, et je revois… jadis. J’évoque dans chaque chambre, une ombre disparue, et il me semble que tout s’anime, que tout sourit, que tout chante. Dans une extase débordante, je songe à mille souvenirs radieux, mon âme semble s’être dédoublée, et les tableaux anciens se déroulent devant moi ; je suis petite, l’on m’embrasse, l’on me caresse, l’on me berce, j’écoute les mots de tendresse, je suis toute tremblante de joie émue, et le radioscope de mon cœur déroule ses radieuses images. Soudain la perspective s’assombrit… et de plus en plus… j’y vois du crêpe… des funèbres draperies… et dans un brouillard de larmes une lignée de cadavres est là… je les reconnais tous et à genoux au milieu des dépouilles chéries, je pleure en un instant de douleur éperdue tous ceux que j’ai aimés.