Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/177

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pleine lune de Shâban. Vers quatre heures après la prière du soir, il s’était rendu dans un bon petit cabaret assez peu éloigné du tombeau où dort le poète Hafyz.

Il y avait là belle assemblée : deux Kurdes de mauvaise mine, un moulla de ceux qui vendent des contrats de mariage pour des termes de deux jours, vingt-quatre heures et au-dessous, manière de morale peu approuvée par la partie pédante du clergé ; quatre muletiers, fort gaillards, que l’aspect des Kurdes n’intimidait nullement, deux petits jeunes gens, les pareils de Gambèr-Aly, un énorme toptjy ou artilleur, originaire du Khorassan, long à n’en plus finir, mais large à proportion, ce qui rétablissait l’équilibre ; plus un pishkedmèt ou valet de chambre du prince-gouverneur, venu là en contrebande. L’Arménien, hôte du logis, étendit une peau de bœuf sur le tapis, et apporta successivement des amandes grillées, ce qui excite à boire, du fromage blanc, du pain et des brochettes de kébab ou filet de mouton rôti entre des fragments de graisse et des feuilles de lauriers, le nec plus ultra de la délicatesse. Au milieu de ces bagatelles furent placés solennellement une douzaine de ces baggalys ou flacons de verre aplatis, que les buveurs timorés peuvent aisément cacher sous leurs bras, et emporter au logis sans que personne s’en aperçoive et qui ne contiennent rien moins que du vin ou de l’eau-de-vie. On but assez tranquillement pendant deux heures. Les