Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/199

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d’éprouver quelque souci de sa situation.. Le Lion de Dieu ne lui avait indiqué que le tiers de ce qu’il aurait à débourser ; au lieu de cinq tomans et quatre pains de sucre, il se trouvait engagé pour quinze tomans et douze pains de sucre. Ce n’était pas la même chose. Mais il s’étourdit sur ces misères, remercia avec effusion son protecteur, baisa le bas de sa robe, et, comme il en avait désormais le droit, se mit à errer de côté et d’autre dans les cours du palais, accostant ses camarades, dont il connaissait déjà quelques-uns pour les avoir rencontrés chez les gens rangés qu’il fréquentait d’ordinaire, et liant conversation avec les autres. Il fut, tout de suite, apprécié et on lui témoigna des amitiés incroyables. Le thé du Prince lui parut bon, et il put même faire passer, sans qu’on y prît trop garde, un certain nombre de morceaux de sucre dans ses poches. Ensuite on joua à toutes sortes de jeux inoffensifs, et, comme Gambèr-Aly n’y était pas novice, il retira de cette opération, conduite avec art, une douzaine de sahabgrans, une quinzaine de francs, et l’estime générale. Bref, il parut à chacun ce qu’il était en réalité, un fort joli garçon au physique et au moral.

Quand il rentra le soir chez lui, sa mère s’empressa de l’interroger.

— Je suis accablé de fatigue, répondit-il d’un air nonchalant. Le Prince a tenu absolument à me faire dîner avec lui. Nous avons eu les cartes toute la journée, et, par discrétion, je n’ai voulu lui gagner que