Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/268

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de l’herbe à manger, un peu d’herbe. Beaucoup de nos camarades firent comme nos ânes ; ils moururent. Cela ne nous empêchait pas de chanter ; car s’il fallait se désespérer des maux inséparables de la vie, mieux vaudrait n’être pas au monde, et, d’ailleurs, avec de la patience, tout s’accommode. La preuve en est que les restes du régiment parvinrent à gagner Meshhed.

En vérité, nous n’avions pas une grande mine, quand nous entrâmes dans la ville Sainte. Le major était venu au-devant de nous avec quelques capitaines et un certain nombre de marchands de toutes sortes de victuailles. Nous payâmes assez cher ce qu’ils nous donnèrent ; nous avions si faim que nous n’eûmes pas la peine de trop marchander. On ignore, quand on n’a pas éprouvé de telles traverses, on ignore ce que c’est que de contempler tout à coup, de ses deux yeux, une tête de mouton bouillie qui vous est offerte. Le bon repas que nous fîmes là nous remit la joie au cœur. Le major nous appela fils de chiens parce que nous avions perdu nos fusils ; mais il nous en fit distribuer un certain nombre d’autres que l’on emprunta au régiment de Khosrova pour cette circonstance, et, nous étant cotisés pour lui faire un petit présent, la bonne harmonie se rétablit entre lui et nous. Il fut convenu qu’il ferait de notre conduite un rapport favorable au colonel pour lequel nous préparâmes encore un cadeau qui se montait à une dizaine de tomans. Ces ar-