Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/304

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moulla très-savant et un grand personnage à Meshhed. Ce récit charma Abdoullah.

— Je regrette, me dit-il, que notre autre parent Kérym n’ait pu obtenir un sort aussi beau. C’est un peu sa faute. Tu sais qu’il avait l’habitude déplorable d’aimer le thé froid avec excès.

Cette expression « le thé froid, » indique, comme chacun sait, entre gens qui se respectent, cette horrible liqueur qu’on appelle du raky. Je secouai la tête d’un air désolé et indigné tout à la fois :

— Kérym, répondis-je, buvait du thé froid, je ne le sais que trop ; j’ai fait longtemps des efforts extraordinaires pour l’arracher à cette honteuse habitude ; je n’y ai jamais réussi.

— Pourtant, continua Abdoullah, sa situation pourrait être pire. Je l’emploie comme muletier, et il conduit pour moi des marchandises sur la route de Tébryz à Trébizonde. Il gagne bien sa vie.

— Qu’entends-je ? m’écriai-je, serais-tu devenu marchand ?

— Oui ! mon frère, répliqua Abdoullah d’un air modeste. J’ai acquis quelque bien, et c’est ce qui m’a permis aujourd’hui de venir à ton aide, quand la malheureuse position où te trouvais m’a été révélée par ma femme.

— Par ta femme ! J’étais au comble de la surprise.

— Sans doute, Kérym ; n’ayant pas le moyen de