Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/327

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maison s’ouvrait ; un pas furtif, rapide, frôla les dalles de pierre ; une forme, d’abord indistincte, se détacha des ténèbres ; une femme se montra, arriva sur le seuil de la chambre, un voile tomba, Djemylèh se précipita vers le lit, et Mohsèn, poussant un cri de bonheur, la reçut dans ses bras.

— Te voilà ! c’est toi ! Tu m’aimes ?

— Plus que tout !

— Malheureux enfant, s’écria la mère, c’était donc là ce qui te tuait !

Les deux amants restaient embrassés et ne parlaient pas ; ils balbutiaient ; ils étaient noyés de larmes, ils se regardaient avec une passion inextinguible, et, comme une lampe presque épuisée dans laquelle on verse de l’huile, l’âme de Mohsèn reprenait la vie et son corps se ranimait.

— Que signifie cela ? dit la vieille. Avez-vous juré votre perte et la nôtre ? Est-ce que ton oncle ne va pas s’apercevoir de la fuite de Djemylèh ? Qu’arrivera-t-il ? Quelles calamités vont tomber sur nous ? Ne sommes-nous pas assez éprouvés ? Fille de malheur, retourne chez toi ! Laisse-nous !

— Jamais ! s’écria Mohsèn. Il se leva tout à fait, rattacha sa robe, serra sa ceinture, étendit la main vers la muraille, décrocha ses armes, les mit sur lui, renouvela l’amorce de son fusil, le tout en une seconde. La dernière trace d’abattement avait disparu. S’il avait la fièvre, c’était une fièvre d’action. L’enthou-