Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/390

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pétri, dressé, servi, j’imagine que le pauvre devait avoir la figure, la tournure et l’encolure lamentables d’un Turc régénéré.

En regard de ce pauvre hère, se tenaient dans une attitude sombre et agressive des émigrés tjerkesses. Ces hommes farouches avaient compté sur l’hospitalité des Turcs, musulmans comme eux, pour leur remplacer la patrie qu’ils laissaient entre les mains des Russes. Ils n’avaient rien trouvé que la famine et l’abandon. Le désespoir assombrissait leurs yeux ; la misère pesait sur leur dos ; ils avaient la mort en face et la voyaient en plein. Impuissants et à demi résignés, ils regardaient les navires de la rade et les passagers qui débarquaient, tandis qu’un Abaze, vêtu de brun, avec ses chausses courtes et collantes, et son turban de même couleur que son habit, le fusil sur l’épaule, le poignard à la ceinture, sa femme respectueusement à dix pas derrière lui, considérait, brigand déterminé, les nouveaux venus de l’air d’une bête fauve qui contemple un troupeau de buffles et cherche un moyen de tenir un de ces animaux isolés, sans compagnons et sans pasteurs.

Trébizonde n’a en soi rien de bien curieux. Le nom est ici plus grand que le fait. Les maisons ne sont ni turques ni européennes ; elles tiennent des deux modes. Il y a peu de restes du passé, et ces restes sont insignifiants. Les rues sont larges et trop vastes pour les boutiques très-humbles qui les bordent. Des