Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/426

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Haute-Arménie ; on avait atteint les rives bruyantes, bordées de roches qui enserrent ce torrent fougueux dont le parcours devient plus loin l’Euphrate. On gagnait du pays, mais lentement. D’abord on ne cheminait chaque jour que pendant six à sept heures, et le déplacement d’un si grand corps était lent. Ce corps se mouvait avec une sorte de précaution solennelle et de sang-froid que rien n’émeut. Ensuite, il s’arrêtait souvent à moitié route de la station indiquée pour la fin du trajet du jour et cela pour bien des considérations. Il faut savoir que Kerbelay-Houssein avait toujours le soin de recevoir les rapports des messagers envoyés par lui quelques jours à l’avance dans les différents villages, afin de négocier avec les paysans la quantité d’orge et de paille hachée, dont il avait besoin pour ses bêtes ; le nombre de moutons, de poules, de charges de riz et de légumes qu’il lui fallait pour la population entraînée avec lui. Souvent les paysans émettaient des prétentions inacceptables quant aux prix qu’ils voulaient percevoir. On discutait avec eux ; les mandataires du muletier leur opposaient la concurrence d’autres villages ; souvent ces derniers s’entendaient avec leurs voisins pour maintenir et imposer des conditions très-élevées ; de la part des diplomates de la caravane c’étaient donc des propositions, des refus, des contre-propositions, des intrigues, des corruptions pratiquées sur tel ou tel de leurs adversaires, des sollicitations appuyées de présents auprès des autorités