Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/440

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dons nous-mêmes, et cela sans nous comprendre, comme aussi nous ne comprenons pas ? Nous sommes portés sur une houle dont nous ne connaissons pas la force ; un souffle du vent peut faire une tempête ; nous pouvons tomber dans un tourbillon ; nous n’avons pas de boussole pour nous guider, et, de même que nous ignorons, de la manière la plus complète, le paysage qui se déroule derrière ces montagnes élevées devant nous, de même nous ne savons pas quels ressorts font mouvoir les esprits et les volontés, quels feux subits enflamment les imaginations de gens que nous jugeons en ce moment les plus inoffensifs et les meilleurs. Tiens  ! par exemple, qui me dit que le Shemsiyèh ne va pas entrer le sabre en main, et nous égorger pour faire un sacrifice à ses dieux ? Oui ! oui ! oui ! Ne ris pas… et, le sacrifice, il le jugerait peut-être d’autant meilleur, que cet homme nous aime peut-être, et offrirait ses bienfaiteurs et sa reconnaissance ? Est-ce que je sais ce qui peut naître et s’agiter dans ces têtes qui sont si différentes des nôtres et qui trahissent des expressions de visage si nouvelles pour nos yeux ? Et ce Kerbelay-Houssein, lui-même, dont nous célébrons l’honnêteté et la droiture, depuis que nous le connaissons, savons-nous bien ce que lui-même appelle droiture et honnêteté ? Qu’y a-t-il de commun entre ces gens-là et nous ? Eh bien ! oui, j’ai peur ! Je voudrais me retrouver dans un autre pays, dans le nôtre, dans celui que nous avons contemplé toute notre vie, qui