Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 1.djvu/102

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Rome le titre même de capitale pour le donner à Milan. Que si les Romains ont fait parler d’eux dans le monde, c’est bien certainement malgré la position du district d’où sortaient leurs premières armées, et non pas à cause de cette position.

En descendant aux temps modernes, la multitude des faits dont je puis m’étayer m’embarrasse. Je vois la prospérité quitter tout à fait les côtes méditerranéennes, preuve sans réplique qu’elle ne leur était pas attachée. Les grandes cités commerçantes du moyen âge naissent là où nul théoricien des époques précédentes n’auraient été les bâtir. Novogorod s’élève dans un pays glacé ; Brême sur une côte presque aussi froide. Les villes hanséatiques du centre de l’Allemagne se fondent au milieu de pays qui s’éveillent à peine ; Venise apparaît au fond d’un golfe profond. La prépondérance politique brille dans des lieux à peine aperçus jadis. En France, c’est au nord de la Loire et presque au delà de la Seine que réside la force. Lyon, Toulouse, Narbonne, Marseille, Bordeaux, tombent du haut rang où les avait portées le choix des Romains. C’est Paris qui devient la cité importante, Paris, une bourgade trop éloignée de la mer quand il s’agit du commerce, et qui en sera trop près quand viendront les barques normandes. En Italie, des villes, jadis du dernier ordre, priment la cité des papes ; Ravenne s’éveille au fond de ses marais, Amalfi est longtemps puissante. Je note, en passant, que le hasard n’a eu aucune part à tous ces revirements, que tous s’expliquent par la présence sur le point donné d’une race victorieuse ou prépondérante. Je veux dire que ce n’était pas le lieu qui faisait la valeur de la nation, qui jamais l’a faite, qui la fera jamais : au contraire, c’était la nation qui donnait, a donné et donnera au territoire sa valeur économique, morale et politique.

Afin d’être aussi clair que possible, j’ajouterai cependant que ma pensée n’est pas de nier l’importance de la situation pour certaines villes, soit entrepôts, soit ports de mer, soit capitales. Les observations que l’on a faites, au sujet de Constantinople et d’Alexandrie notamment, sont incontestables (1)[1]. Il est certain

  1. (1) M. Saint-Marc Girardin, Revue des Deux Mondes.