Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 1.djvu/119

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humaine se trouve placée, un milieu dans lequel elle a réussi à se mettre, qu’elle a créé, qui émane d’elle, et qui à son tour réagit sur elle.

Cet état a un grand caractère de généralité qu’un fait ne possède jamais ; il se prête à beaucoup de variations qu’un fait ne saurait pas subir sans disparaître, et, entre autres, il est complètement indépendant des formes gouvernementales, se développant aussi bien sous le despotisme que sous le régime de la liberté, et ne cessant pas même d’exister lorsque des commotions civiles modifient ou même transforment absolument les conditions de la vie politique.

Ce n’est pas à dire cependant qu’il faille estimer peu de chose les formes gouvernementales. Leur choix est intimement lié à la prospérité du corps social : faux, il l’entrave ou la détruit ; judicieux, il la sert et la développe. Seulement, il ne s’agit pas ici de prospérité ; la question est plus grave : il s’agit de l’existence même des peuples et de la civilisation, phénomène intimement lié à certaines conditions élémentaires, indépendantes de l’état politique, et qui puisent leur raison d’être, les motifs de leur direction, de leur expansion, de leur fécondité ou de leur faiblesse, tout enfin ce qui les constitue, dans des racines bien autrement profondes. Il va donc sans dire que, devant des considérations aussi capitales, les questions de conformation politique, de prospérité ou de misère se trouvent rejetées à la seconde place ; car, partout et toujours, ce qui prend la première, c’est cette question fameuse d’Hamlet : être ou ne pas être. Pour les peuples aussi bien que pour les individus, elle plane au-dessus de tout. Comme M. Guizot ne paraît pas s’être mis en face de cette vérité, la civilisation est pour lui, non pas un état, non pas un milieu, mais un fait ; et le principe générateur dont il le tire est un autre fait d’un caractère exclusivement politique.

Ouvrons le livre de l’éloquent et illustre professeur : nous y trouvons un faisceau d’hypothèses choisies pour mettre la pensée dominante en relief. Après avoir indiqué un certain nombre de situations dans lesquelles peuvent se trouver les sociétés, l’auteur se demande « si l’instinct général y