Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 1.djvu/140

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Pas une loi sociale, pas un principe générateur de la civilisation compris de la même manière dans tous nos départements. Il est inutile de faire comparaître ici le Normand, le Breton, l’Angevin, le Limousin, le Gascon, le Provençal ; tout le monde doit savoir combien ces peuples se ressemblent peu et varient dans leurs jugements. Ce qu’il faut signaler, c’est que, tandis qu’en Chine, au Thibet et dans l’Inde, les notions les plus essentielles au maintien de la civilisation sont familières à toutes les classes, il n’en est aucunement de même chez nous. La première, la plus élémentaire de nos connaissances, la plus abordable, reste un mystère fort négligé par la masse de nos populations rurales : car très généralement on n’y sait ni lire ni écrire, et on n’attache aucune importance à l’apprendre, parce qu’on n’en voit pas l’utilité, parce qu’on n’en trouve pas l’application. Sur ce point-là, je crois peu aux promesses des lois, aux beaux semblants des institutions, beaucoup à ce que j’ai vu moi-même, et aux faits constatés par de bons observateurs. Les gouvernements ont épuisé les efforts les plus louables pour tirer les paysans de leur ignorance ; non seulement les enfants trouvent, dans leurs villages, toutes facilités pour s’instruire, mais les adultes même, saisis, à l’âge de vingt ans, par la conscription, rencontrent, dans les écoles régimentaires, les meilleurs moyens d’acquérir les connaissances les plus indispensables. Malgré ces précautions, malgré cette paternelle sollicitude et ce perpétuel compelle intrare dont, tous les jours, l’administration répète l’avis à ses agents, les classes agricoles n’apprennent rien. J’ai vu, et toutes les personnes qui ont habité la province l’ont vu comme moi, les parents n’envoyer leurs enfants à l’école qu’avec une répugnance marquée, et taxer de temps perdu les heures qui s’y passent ; les en retirer en hâte, sous le plus léger prétexte, ne jamais permettre que les premières années de force s’y prolongent ; et quand une fois l’école est quittée, le jeune homme n’a rien de plus pressé que d’oublier ce qu’il y a appris. Il s’en fait, en quelque sorte, un point d’honneur, ce en quoi il est imité par les soldats congédiés, qui, dans plus d’une partie de la France, non seulement ne veulent plus avoir su lire et écrire,