Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 1.djvu/145

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l’espèce ait jamais édifié. Ce n’est pas, à la vérité, par l’invention qu’elle se signale. Cette qualité mise à part, disons qu’elle a poussé loin l’esprit compréhensif et la puissance de la conquête, qui en est une conséquence. Comprendre tout, c’est tout prendre. Si elle n’a pas créé les sciences exactes, elle leur a donné du moins leur exactitude et les a débarrassées des divagations dont, par un singulier phénomène, elles étaient peut-être encore plus mêlées que toutes les autres connaissances. Grâce à ses découvertes, elle connaît mieux le monde matériel que ne faisaient les sociétés précédentes. Elle a deviné une partie de ses lois principales, elle sait les exposer, les décrire et leur emprunter des forces vraiment merveilleuses pour centupler celles de l’homme. De proche en proche et par la rectitude avec laquelle elle manie l’induction, elle a reconstruit d’immenses fragments de l’histoire, dont les anciens ne s’étaient jamais doutés, et, plus elle s’éloigne des époques primitives, plus elle les voit et pénètre leurs mystères. Ce sont là de grandes supériorités, et qu’on ne saurait lui disputer sans injustice.

Ceci admis, est-on bien en droit d’en conclure, comme on le fait généralement avec trop de facilité, que notre civilisation ait la préexcellence sur toutes celles qui ont existé et existent en dehors d’elle ? Oui et non. Oui, parce qu’elle doit à la prodigieuse diversité des éléments qui la composent, de reposer sur un esprit puissant de comparaison et d’analyse, qui lui rend plus facile l’appropriation de presque tout ; oui, parce que cet éclectisme favorise ses développements dans les sens les plus divers ; oui, encore, parce que, grâce aux conseils du génie germanique, trop utilitaire pour être destructeur, elle s’est fait une moralité dont les sages exigences étaient inconnues généralement jusqu’à elle. Mais, si l’on pousse cette idée de son mérite jusqu’à la déclarer supérieure absolument et sans réserve, je dis non, car précisément elle n’excelle en presque rien.

Dans l’art du gouvernement, on la voit soumise, en esclave, aux oscillations incessantes amenées par les exigences des races si tranchées qu’elle renferme. En Angleterre, en Hollande,