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qui, jouissant de l’ordre quand il existait, supportant, tant bien que mal, le désordre quand il venait, admiraient, en tous temps, le progrès des jouissances matérielles inconnues à leurs pères, et, sans trop vouloir penser au reste, se consolaient en répétant à satiété :

On travaille aujourd’hui d’un air miraculeux.

Il y aurait plus de raisons de croire à des perfectionnements dans la science politique, si nous avions inventé quelque rouage inconnu jusqu’à nous, et qui n’ait pas été auparavant pratiqué, au moins dans l’essentiel. Cette gloire nous manque. Les monarchies limitées ont été connues de tous temps. On en voit même des modèles curieux chez certaines peuplades américaines restées cependant barbares. Les républiques démocratiques et aristocratiques de toutes formes et pondérées suivant les méthodes les plus variées ont existé dans le nouveau monde comme dans l’ancien. Tlascala est, en ce genre, un spécimen complet tout comme Athènes, Sparte, et La Mecque avant Mahomet. Et quand même, d’ailleurs, il serait vrai que nous eussions appliqué à la science gouvernementale quelque perfectionnement secondaire de notre invention, en serait-ce assez pour justifier une prétention si grosse que celle de la perfectibilité illimitée ? Soyons modestes, comme le fut un jour le plus sage des rois : Nil novi sub sole (1)[1].

  1. (1) On est quelquefois disposé à considérer le gouvernement des États-Unis d’Amérique comme une création tout à fait originale et particulière à notre époque, et ce qu’on y relève de surtout remarquable, c’est la part restreinte abandonnée dans cette société à l’initiative et même à la simple intervention de l’autorité gouvernementale ou administrative. Si l’on veut jeter les yeux sur tous les commencements d’États fondés par la race blanche, on aura identiquement le même spectacle. Le self-government n’est pas aujourd’hui plus triomphant à New-York, qu’il ne le fut jadis à Paris, au temps des Franks. Les Indiens, il est vrai, sont traités beaucoup plus inhumainement par les Américains que ne le furent les Gaulois par les leudes de Khlodowig. Mais il faut considérer que la distance ethnique est bien plus grande entre les républicains éclairés du nouveau monde et leurs victimes, qu’elle ne l’était entre le conquérant germain et ses vaincus. Du reste, lorsque, par la suite, j’exposerai les débuts de toutes les sociétés arianes, on verra que toutes ont commencé par l’exagération de l’indépendance vis-à-vis du magistrat et vis-à-vis de la loi.
    Les inventions politiques de ce monde ne sauraient, ce me semble, sortir des deux limites tracées par deux peuples situés, l’un dans le nord-est de l’Europe, l’autre dans les pays riverains du Nil, à l’extrême sud de l’Égypte. Le gouvernement du premier de ces peuples, à Bolgari, près de Kazan, avait l’habitude de faire pendre les gens d’esprit, comme moyen préventif. C’est au voyageur arabe Ibn Foszlan que nous devons la connaissance de ce fait. (A. de Humboldt, Asie centrale, t. I, p. 494.)
    Chez l’autre nation, habitant le Fazoql, lorsque le roi ne convient plus, ses parents et ses ministres viennent le lui annoncer, et on lui fait remarquer que, puisqu’il ne plaît plus aux hommes, aux femmes, aux enfants, aux bœufs, aux ânes, etc., le mieux qu’il puisse faire, c’est de mourir, et on l’y aide aussitôt. (Lepsius, Briefe aux Ægypten, Æthiopien und der Halbinsel des Sinai ; Berlin, 1852.)