Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 1.djvu/209

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tudeà remplir de légitimes obligations chez les reines ? Que dire, lorsqu’on voit les termites épargner leurs ennemis vaincus, puis les enchaîner et les employer à l’utilité publique en les forçant d’avoir soin des jeunes individus ?

Sans doute nos États, à nous, sont plus compliqués, satisfont à plus de besoins ; mais, lorsque je regarde le sauvage errant, sombre, sale, farouche, désœuvré, traînant paresseusement ses pas et le bâton pointu qui lui sert de lance sur un sol sans culture ; quand je le contemple, suivi de sa femme, unie à lui par un hymen dont une violence férocement inepte a constitué toute la cérémonie[1] ; quand je vois cette femme portant son enfant, qu’elle va tuer elle-même s’il tombe malade, ou seulement s’il l’ennuie[2] ; que tout à coup, la faim se faisant sentir, ce misérable groupe, à la recherche d’un gibier quelconque, s’arrête charmé devant une de ces demeures d’intelligentes fourmis, donne du pied dans l’édifice, en ravit et en dévore les œufs, puis, le repas fait, se retire tristement dans un creux de rocher, je me demande si les insectes qui viennent de périr n’ont pas été plus favorablement doués que la stupide famille du destructeur ; si l’instinct des animaux, borné à un court ensemble de besoins, ne les rend pas plus heureux que cette raison avec laquelle notre humanité s’est trouvée nue sur la terre, et plus exposée cent fois que les autres espèces aux souffrances que peuvent causer l’air, le soleil,

  1. Chez plusieurs peuplades de l’Océanie, voici comme on a conçu l’institution du mariage : l’homme remarque une fille. Elle lui convient. Il l’obtient du père moyennant quelques cadeaux, parmi lesquels une bouteille d’eau-de-vie, quand le futur a pu l’offrir, tient le rang le plus distingué. Alors le prétendu va s’embusquer au coin d’un buisson ou derrière un rocher. La fille passe sans songer à mal. Il la renverse d’un coup de bâton ; la frappe jusqu’à ce qu’elle ait perdu connaissance et l’emporte amoureusement chez lui, baignée dans son sang. Il est en règle. L’union légale est accomplie.
  2. M. d’Orbigny raconte que les mères indiennes aiment leurs enfants à l’excès, qu’elles les chérissent au point d’en être véritablement les esclaves ; que cependant, par une bizarrerie sans exemple, si l’enfant vient à les gêner un jour, elles le noient ou l’écrasent, ou l’abandonnent, sans nul regret, dans les bois. (D’Orbigny, l’Homme américain, t. II, p. 232.)