Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 1.djvu/317

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toutes les contrées où ils dominèrent cette jalouse surveillance de la puissance monarchique, et qu’à Ninive comme à Babylone, les titulaires de l’empire ne furent, sous leur inspiration, que les représentants sans initiative des prêtres et des nobles.

Telle fut l’organisation sortie de la fusion des Chamites noirs de la Phénicie avec les Sémites. Les rois, autrement dit les suffètes, vivaient dans des palais somptueux. Rien ne semblait ni trop beau ni trop bon pour rehausser la magnificence dont les vrais maîtres de l’État se plaisaient à en orner la double tête. Des multitudes d’esclaves des deux sexes, splendidement vêtus, étaient aux ordres de ces mortels accablés sous l’étalage des jouissances. Des eunuques par troupeaux gardaient l’entrée de leurs jardins et de leurs gynécées. Des femmes de tous les pays leur étaient amenées par les navires voyageurs. Ils mangeaient dans l’or, ils se couronnaient de diamants et de perles, d’améthystes, de rubis, de topazes, et la pourpre, si, exaltée par l’imagination antique, était la couleur respectueusement réservée à tous leurs vêtements. En dehors de cette vie somptueuse et des formes de vénération que la loi commandait d’y ajouter, il n’y avait rien. Les suffètes donnaient leur avis sur les affaires publiques comme les autres nobles, rien de plus ; ou s’ils allaient au delà, c’était par l’usage d’une influence personnelle qui avait été disputée avant d’être subie ; car l’action légale et régulière, et même la puissance exécutive, se concentraient entre les mains des chefs des grandes maisons (1)[1].

Pour ces derniers, collectivement, l’autorité n’avait pas de bornes. Du moment qu’un accord conclu entre eux avait pris le caractère impératif qui constitue la loi, tout devait plier devant cette loi, dont les législateurs eux-mêmes étaient les premières victimes. Nulle part et jamais cette abstraction ne ménageait les situations personnelles. Une rigueur inflexible en introduisait les redoutables effets jusque dans l’intérieur des familles, tyrannisait les rapports les plus intimes des époux, planait sur la tête du père, despote de ses enfants, mettait la contrainte entre l’individu et sa conscience. Dans l’État tout

  1. (1) Movers, Das Phœnizische Alterthum, t. II-I.