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de ses énormes ressources, puis parce qu’elle était bien loin du centre de la monarchie persane. Pourtant elle obéit et s’humilia. C’est qu’il fallait à tout prix conserver la bienveillance d’une dynastie qui pouvait fermer à son gré les ports orientaux de la Méditerranée. Les Carthaginois, politiques positifs, se déterminèrent, en cette occasion, par des motifs analogues à ceux qui, aux XVIIe et XVIIIe siècles, portèrent plusieurs nations européennes, désireuses de conserver leurs relations avec le Japon et la Chine, à subir des humiliations assez dures pour la conscience chrétienne. Devant une telle résignation de la part de Carthage, et lorsqu’on en pèse les causes, on s’explique que les colonies phéniciennes aient toujours montré un esprit bien éloigné de toute velléité de révolte.

Du reste, on se tromperait fort si l’on croyait que ces colonies se soient jamais préoccupées de la pensée de civiliser les nations au milieu desquelles elles se fondaient (1)[1]. Animées uniquement d’idées mercantiles, nous savons par Homère quelle aversion elles inspiraient aux populations antiques de l’Hellade. En Espagne et sur les côtes de la Gaule, elles ne donnèrent pas une meilleure opinion d’elles. Là où les Chananéens se trouvaient en face de populations faibles, ils poussaient la compression jusqu’à l’atrocité, et réduisaient à l’état de bêtes de somme les indigènes employés aux travaux des mines. S’ils rencontraient plus de résistance, ils employaient plus d’astuce. Mais le résultat était le même. Partout les populations locales n’étaient pour eux que des instruments dont ils abusaient, ou des adversaires qu’ils exterminaient. L’hostilité fut permanente entre les aborigènes de tous les pays et ces marchands féroces. C’était encore là une raison qui forçait les colonies, toujours isolées, faibles et mal avec leurs voisins, de rester fidèles à la métropole, et ce fut aussi un grand levier dans la main de Rome pour renverser la puissance carthaginoise.



(1) Rien de plus ridicule que le sens philanthropique attribué par quelques modernes au mythe de l’Hercule tyrien. Le héros sémite et ses compagnons se donnaient des torts et ne redressaient pas ceux des autres.

  1. (1) Rien de plus ridicule que le sens philanthropique attribué par quelques modernes au mythe de l’Hercule tyrien. Le héros sémite et ses compagnons se donnaient des torts et ne redressaient pas ceux des autres.